lundi 26 décembre 2011

Le seuil d'incompétence

Je me souviens qu'au milieu des années '70 et au début de la décennie suivante, on parlait beaucoup du principe de Peter. Pour résumer la chose, on disait qu'au plan professionnel une personne finit par atteindre son seuil d'incompétence. La chose témoigne d'une observation quotidienne que chacune et chacun font dans leur milieu. Il y a une forme de fatalité dans cet aphorisme, comme si chaque humain est condamné à l'incompétence.

L'incompétence est toujours une question de perspective et de jugement. En effet, outre les rôles et les responsabilités propres à une fonction de travail, il y a les attentes spécifiques à un poste et ces attentes, souvent informelles, deviennent plus importantes au fur et à mesure que la personne s'élève dans la hiérarchie. Dans ce contexte, une personne devient forcément incompétente. Elle peut avoir toutes les capacités, jouer les rôles convenablement et assumer les responsabilités efficacement, il n'en demeure pas moins que les attentes déterminent la perception. Ces attentes sont celles des supérieurs, des collègues voire des subalternes.

Par ailleurs, plus la fonction devient importante, plus l'étendue des rôles et des responsabilités s'étend et accroît la possibilité de l'expression de l'incompétence. Au fil des dernières années, j'ai pu prendre connaissance du "profil" élaboré par certaines organisations pour des postes de cadres supérieurs. Les documents comptaient quatre pages ou plus issus d'un processus de consultation. Les habiletés de gestion, les qualités personnelles, le profil de formation y côtoient l'expérience et certaines attentes spécifiques. Le danger de ce profil est clair, personne ne peut y correspondre parfaitement. Généralement les comités de sélection établissent des priorités dans la liste, mais cette priorité n'est pas validée auprès des personnes consultées. Or, c'est un risque puisque ces dernières se sont aussi faites une opinion sur le profil. Le jugement viendra par la suite.

Plus une personne progresse dans une hiérarchie ou au sein d'un réseau, plus elle est connue. Ses forces et ses faiblesses s'étalent publiquement, surtout si elle prend des risques. Selon le point de vue, une force peut devenir une faiblesse. En fait, forces et faiblesses s'inscrivent sur un continuum et, selon le moment, elles s'expriment chez une personne. Les faiblesses deviennent aussi plus notables.

On parle beaucoup de "courage" en gestion. En fait, le courage du gestionnaire n'est pas tant celui de prendre des décisions que de vivre avec les conséquences de ses actes. Le courage c'est celui du quotidien, des attentes informelles, des difficultés de communication, de la fatigue cumulée, du stress, etc... Cela est vrai pour le gestionnaire, mais pour chaque personne au sein d'une organisation. La personne qui est au service à la clientèle subit tout autant ces pressions et doit exprimer tout cela dans une forme de courage. C'est dans ce courage que devrait se mesurer la compétence des gens.

Au plan des intelligences, il est ici question de l'intelligence intrapersonnelle qui fonde la motivation, les valeurs, les comportements spécifiques de la personne. Il est aussi question de l'intelligence interpersonnelle qui donne accès aux autres. L'ensemble correspond à l'intelligence émotionnelle qui vient camper les rapports humains. L'une voire plusieurs intelligences sont aussi présentes pour exprimer l'aspect spécifique du savoir qui est requis. Un vieil adage en gestion dit qu'on embauche sur les compétences et qu'on congédie sur les attitudes. L'incompétence est rarement du côté des intelligences de contenu, elle est du coté des rapports humains, ceux qui sont les plus difficiles à évaluer.