L’évaluation des attitudes pose
des difficultés à bien des professeurs. Les objectifs ont beau être clairs, les
standards précis, la chose demeure complexe. Comment expliquer cela? En fait,
la réponse réside dans les acquis mêmes des évaluateurs.
Partons d’une situation
d’évaluation simple. Les professeurs n’éprouvent habituellement pas de
difficultés à évaluer des apprentissages disciplinaires. Lorsqu’il est question
d’évaluer la qualité du français, plusieurs produisent des évaluations fondées
alors que d’autres se contentent d’évaluation plus limitée. Que se passe-t-il?
Le professeur évalue en fonction de son propre niveau de maîtrise de la
matière. Cela signifie qu’il détient un niveau de compétence qui va au-delà des
bases. Il en maîtrise le langage, les règles. La différence est là.
En mathématique, par exemple, le
langage est celui des nombres et les règles qui s’appliquent sont celles des
conventions établies. Tant qu’une personne n’a pas atteint un certain niveau de
maîtrise du langage et des règles, elle ne peut évaluer convenablement. Elle
peut aisément indiquer que la personne n’a pas donné la réponse attendue, dans
la mesure ou il en dispose. Mais évaluer ce n’est pas cela, c’est juger. Juger
signifie que l’évaluateur va réaliser une observation, qu’il va suivre la
démarche afin d’être en mesure d’émettre un jugement, mais, aussi et surtout,
dans le contexte d’une relation d’apprentissage, de pouvoir faire une
rétroaction à l’élève.
Il en est de même pour
l’évaluation de la qualité du français. Comment une personne peut-elle évaluer
un objet qu’elle ne perçoit pas, qu’elle ne détecte pas? Si l’observation de
certaines règles de base (par exemple le pluriel des noms propres) est à la
portée de la plupart des gens, il n’en est pas de même de certaines autres,
plus complexes. Si ces règles ne
sont pas acquises par l’évaluateur il peut soit laisser passer une erreur, soit
méjuger une situation correcte et la pénaliser. Dans un cas comme dans l’autre,
l’élève est pénalisé.
On conviendra que dans les deux
exemples qui précèdent, l’évaluateur a atteint un certain niveau de littératie
qui le prépare à sa tâche. Ce niveau qui pourrait facilement être établi pour
un ordre d’enseignement donné implique une maîtrise de la langue et de ses
règles.
L’évaluation des savoir-être
répond au même modèle. Ce que l’on observe, c’est que les professeurs sont
d’excellents praticiens. Ils maîtrisent les attitudes requises, ils sont aptes
à les mettre en pratique, mais lorsque vient le moment de les évaluer, ils sont
confrontés au langage et à ses règles spécifiques. Ils n’ont pas développé un
niveau de littératie suffisant pour évaluer.
Les savoir-être ont leurs propres
taxonomies (Krathwhol par exemple) qui sont fort répandues. Les attitudes sont
liées à des comportements, à l’interpersonnel, et sont conditionnées, en tout
ou en partie, par la personne, son intrapersonnel. Howard Gardner, dans son
cadre de référence sur l’intelligence, identifie l’intrapersonnel et
l’interpersonnel comme deux intelligences distinctes que chaque humain a la
capacité de développer. Pour Gardner, ces deux intelligences ont leur propre
langage et règles. Or, contrairement aux autres intelligences décrites par
Gardner, par exemple l’intelligence linguistique ou l’intelligence
logico-mathémathique, l’enseignement du langage propre à ces deux intelligences
ne fait pas partie des prescriptions des systèmes scolaires. Ils y apparaissent
à titre transversal ce qui signifie que l’acquisition de ces compétences se
fait en concomitance avec d’autres, mais qu’elles sont peu ou pas évaluées.
Comment les personnes peuvent-elles développer leurs compétences dans ce
contexte?
Une partie du langage spécifique
à ces deux intelligences est lié aux émotions, ce qui a amené Daniel Goleman à regrouper
les deux sous le vocale d’intelligence émotionnelle. Lorsqu’il est question des
émotions, force nous est de constater qu’une majorité de personnes sont à tout
le moins analphabètes sinon illettrées. Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut
dire qu’une majorité de personnes sont tout juste aptes à décoder les émotions
sans pour autant pouvoir vraiment tirer profit de ces informations.
Pourriez-vous répondre aux
questions suivantes :
Ø Croyez-vous
que chaque être humain a son propre tempérament qui détermine en tout ou en
partie son comportement?[1]
Ø Combien
d’émotions un être humain peut-il exprimer?[2]
Pour enseigner les attitudes et
les évaluer, il faut être en mesure de les objectiver, c’est-à-dire d’être en
mesure de l’expliquer en termes clairs, concrets et compréhensibles, d’en
témoigner des manifestations, des composantes et de les contextualiser.
Dans le cas qui nous occupe, cela
signifie qu’un professeur devrait être en mesure d’évaluer la dimension non
verbale et verbale d’une situation donnée afin d’en dégager les attitudes et de
les comparer à une norme ou à un standard attendu. Ainsi, par exemple, il
devrait observer et en faire une synthèse:
- L’expression
orale, notamment les termes utilisés, l’intonation (prosodie);
- L’expression
faciale, non seulement les émotions, mais aussi les micros expressions;
- L’expression
corporelle, par exemple la nature des gestes (référence à la synergologie), le
caractère des gestes (brusqueries ou douceur).
On conviendra que bien peu de
personnes sont aptes à réaliser de telles observations. Or, ces trois
dimensions ne sauraient couvrir toute l’étendue de l’évaluation des attitudes.
L’évaluation des attitudes
implique qu’un professeur développe ses compétences dans la compréhension du
langage des attitudes. Qu’il passe du niveau de praticien à celui d’observateur
apte à décomposer les situations et à identifier, dans le contexte d’une
situation d’apprentissage, les éléments positifs, ceux requérant une attention
particulière méritant un effort de ceux qui sont encore à développer.
[1] Le tempérament fait référence aux caractéristiques individuelles, dont
la base serait biologique (génétique + facteurs prénataux et périnataux), qui
déterminent les réactions affectives, attentionnelles et motrices dans diverses
situations.
[2] En fait, il y a six émotions de base que soient
universelles caractérisées par une expression faciale particulière. Ces
émotions sont : la surprise, la colère, le dégoût, la tristesse, la peur
et la joie.