lundi 26 décembre 2011

Le seuil d'incompétence

Je me souviens qu'au milieu des années '70 et au début de la décennie suivante, on parlait beaucoup du principe de Peter. Pour résumer la chose, on disait qu'au plan professionnel une personne finit par atteindre son seuil d'incompétence. La chose témoigne d'une observation quotidienne que chacune et chacun font dans leur milieu. Il y a une forme de fatalité dans cet aphorisme, comme si chaque humain est condamné à l'incompétence.

L'incompétence est toujours une question de perspective et de jugement. En effet, outre les rôles et les responsabilités propres à une fonction de travail, il y a les attentes spécifiques à un poste et ces attentes, souvent informelles, deviennent plus importantes au fur et à mesure que la personne s'élève dans la hiérarchie. Dans ce contexte, une personne devient forcément incompétente. Elle peut avoir toutes les capacités, jouer les rôles convenablement et assumer les responsabilités efficacement, il n'en demeure pas moins que les attentes déterminent la perception. Ces attentes sont celles des supérieurs, des collègues voire des subalternes.

Par ailleurs, plus la fonction devient importante, plus l'étendue des rôles et des responsabilités s'étend et accroît la possibilité de l'expression de l'incompétence. Au fil des dernières années, j'ai pu prendre connaissance du "profil" élaboré par certaines organisations pour des postes de cadres supérieurs. Les documents comptaient quatre pages ou plus issus d'un processus de consultation. Les habiletés de gestion, les qualités personnelles, le profil de formation y côtoient l'expérience et certaines attentes spécifiques. Le danger de ce profil est clair, personne ne peut y correspondre parfaitement. Généralement les comités de sélection établissent des priorités dans la liste, mais cette priorité n'est pas validée auprès des personnes consultées. Or, c'est un risque puisque ces dernières se sont aussi faites une opinion sur le profil. Le jugement viendra par la suite.

Plus une personne progresse dans une hiérarchie ou au sein d'un réseau, plus elle est connue. Ses forces et ses faiblesses s'étalent publiquement, surtout si elle prend des risques. Selon le point de vue, une force peut devenir une faiblesse. En fait, forces et faiblesses s'inscrivent sur un continuum et, selon le moment, elles s'expriment chez une personne. Les faiblesses deviennent aussi plus notables.

On parle beaucoup de "courage" en gestion. En fait, le courage du gestionnaire n'est pas tant celui de prendre des décisions que de vivre avec les conséquences de ses actes. Le courage c'est celui du quotidien, des attentes informelles, des difficultés de communication, de la fatigue cumulée, du stress, etc... Cela est vrai pour le gestionnaire, mais pour chaque personne au sein d'une organisation. La personne qui est au service à la clientèle subit tout autant ces pressions et doit exprimer tout cela dans une forme de courage. C'est dans ce courage que devrait se mesurer la compétence des gens.

Au plan des intelligences, il est ici question de l'intelligence intrapersonnelle qui fonde la motivation, les valeurs, les comportements spécifiques de la personne. Il est aussi question de l'intelligence interpersonnelle qui donne accès aux autres. L'ensemble correspond à l'intelligence émotionnelle qui vient camper les rapports humains. L'une voire plusieurs intelligences sont aussi présentes pour exprimer l'aspect spécifique du savoir qui est requis. Un vieil adage en gestion dit qu'on embauche sur les compétences et qu'on congédie sur les attitudes. L'incompétence est rarement du côté des intelligences de contenu, elle est du coté des rapports humains, ceux qui sont les plus difficiles à évaluer.

dimanche 20 novembre 2011

ET SI L'ÉCOLE SE TROMPAIT

L'école dont il sera question ici n'est pas l'établissement, le lieu de formation, mais l'institution, l'organisation sociale mise en place afin de former les personnes, de les éduquer.

Depuis quelques années, l'équipe de multintelligents.info s'intéresse à l'intelligence à partir du cadre des intelligences multiples développé par Howard Gardner au milieu des années '80. La transposition de ce modèle au monde de l'éducation a permis de constater que le système scolaire privilégiait certaines intelligences (linguistique et logico-mathémathématique), en effleurait quelques autres (kinesthésique, musicale et visuo-spatiale) et en ignorait plusieurs autres (intrapersonnel, interpersonnel, naturaliste). Ces choix témoignent d'une vision dépassée de l'intelligence humaine et correspond à une conception utilitaire de l'école. Cette dernière est là pour former non pas des citoyens (si c'était le cas toutes les dimensions seraient couvertes) mais des travailleurs ce qui explique les choix qui sont faits avec les conséquences que cela peut entraîner.

Le fait de négliger certaines intelligences génère de l'inadaptation scolaire parmi les jeunes dont la structure du cerveau ne correspond pas au modèle requis. Convenons que l'école est tournée vers la rationalité, ce qui n'est pas un mauvais choix, mais qu'elle ignore tout le volet émotif de l'être humain. Nous devons travailler en équipe, mais on ne nous l'enseigne pas, nous vivons en société sans avoir appris à décoder nos émotions, celles des autres et surtout avoir appris à cohabiter dans un univers d'émotions et de perceptions. Commet s'étonner de voir la fracture sociale entre les riches et les pauvres quant la norme de jugement est purement quantitative, celle des avoirs matériels.

Lorsqu'on s'attarde à la réussite scolaire, on constate que le facteur premier de réussite n'est pas lié à une capacité exacerbée (ex. la "bosse" des mathématiques), mais bel et bien dans une dimension personnelle (la motivation, l'engagement personnel), interpersonnelle (capacité à décoder les autres et à interagir) et naturaliste (la méthode, l'organisation). Or, ce sont là les intelligences que l'école oublie. Faut-il se surprendre? Ces intelligences n'ont pas de valeur économique et l'ignorance en ces domaines sert bien les nantis.

Le programme scolaire est le témoin d'une conception erronée, voire passéiste, de l'intelligence humaine. L'évolution de notre connaissance du cerveau et de son fonctionnement nous ouvre un horizon de travail que l'école aurait intérêt à explorer afin d'être au service de la formation de la personne. L'intelligence humaine est une capacité multiple et s'il est difficile d'imaginer que l'ensemble des aspects multiples de cette capacité puissent être développé, il est tout de même nécessaire d'alphabétiser les jeunes dans chacune des dimensions.

Changer l'école, demeure un défi, voire une utopie. L'école est fondamentalement un lieu de création et, paradoxalement, un rempart du conservatisme de notre société, ce qui la fragilise. L'école d'aujourd'hui est tellement mal définie qu'elle est devenue pour les jeunes un lieu de passage obligée au lieu d'être désirée pour ce qu'elle apporte. Un passage obligé afin d'obtenir une reconnaissance témoignant d'une certaine capacité d'adaptation à un modèle. L'école est devenue un déversoir de l'incapacité des parents à éduquer leurs enfants.

Il faut cependant convenir qu'à défaut de mieux, malgré l'institution, il n'en demeure pas moins que des jeunes réussissent à acquérir une formation équilibrée grâce à des éducateurs qui sont de véritables guides.

NOUS SOMMES TOUS IMMIGRANTS

L'adaptation des immigrants est sujet de débat dans notre société comme dans plusieurs autres. La difficulté réside souvent dans le fait que le nouvel arrivant cherche à transposer sa culture dans sa terre d'accueil ou il juge notre culture à la lumière de la sienne. Évidemment cela génère de l'insatisfaction, des récriminations, entraîne des tensions. L'intrapersonnel (les attentes et les besoins) se heurte à l'interpersonnel (la tradition, la culture).

Cette réalité est notre lot à tous et nous ne nous en rendons pas compte. Bien des "boomers" sont des immigrants dans la société numérique colonisée par la génération C. Ils ont l'attitude des immigrants, ils critiquent, jugent sans vraiment prendre le temps de s'adapter ou de comprendre. Lorsqu'une personne change de milieu professionnel elle est immigrante au sein d'une nouvelle culture. L'adaptation peut être simple si elle se fond dans la culture, mais elle peut aussi agir en immigrante. Changer de ville et de région requiert aussi une adaptation. À une moindre échelle. c'est une situation d'immigration. Quitter Québec pour la Gaspésie et vice versa c'est devoir faire le deuil d'éléments d'une culture dans laquelle la personne a baigné.

L'immigrant peut avoir deux réflexes, celui de se fondre dans la masse. Ces personnes, on ne les voit pas, elles sont là, actives. Elles apportent à la culture ambiante des éléments qui la font évoluer petit à petit. L'autre attitude c'est de revendiquer des accommodements, de se "ghettoiser", de se replier sur soi en dénigrant la culture d'accueil. Ces immigrants reçoivent beaucoup d'attention et finissent pas culpabiliser le groupe d'accueil.

Il est plus facile de juger que d'agir. Aucune culture n'est parfaite. Elle est le fruit d'une évolution que seule la connaissance historique permet de comprendre. Or, au sein de notre société notre conscience historique se perd, est récupérée, est manipulée pour faire "évoluer" notre culture. Les demies-vérités deviennent des faits et, peu à peu, la signification de certains choix est questionnée. Le Gouvernement conservateur canadien illustre bien la chose. Il veut justifier certains de ces choix, les rendent acceptables.  Son travail actuel porte sur l'histoire, la valorisation. Il magnifie certains événements et ignore les autres, il accorde de l'attention à un groupe de pression et isole les autres. Peu à peu l'adhésion se fait.

Être immigrant par choix impose une attitude, immigrer par nécessité détermine une attitude.

samedi 19 novembre 2011

VÉGÉTATION ETAGÉE

Le souvenir des détails est flou, c'était au début de mon secondaire en classe de géographie, le professeur demande aux élèves "qu'est-ce qu'on entend par végétation étagée? » Je me vois encore fier d'avoir une réponse à fournir. Je suis le seul, ou le plus rapide, à lever la main. il me pointe du doigt. "La végétation étagée c'est quand une plante pousse par dessus une autre, par exemple dans un tronc d'arbre." Je n'ai pas souvenir des mots du professeur, mais j'ai un bon souvenir du sentiment de honte que j'ai éprouvé. La végétation étagée c'est plutôt un concept qui réfère au mode de régénération d'une forêt. Ma réponse n'était pas idiote, j'avais vu très souvent des plantes prenant racine dans un tronc d'arbre mort, mais ce n'était pas la bonne réponse, celle attendue. (Notons au passage la nature du souvenir qui est ici marqué par l'émotion.)

J'avais déjà à l'époque une faible estime de moi, ça n'a pas arrangé les choses. En fait, mon parcours scolaire est marqué de ce genre de situation ou l'on me donnait à croire que j'étais au mieux un cancre sinon un idiot. 

Admis en première année à cinq ans, j'ai traîné avec moi ce boulet qu'est une année de maturité de moins que mes camarades de classe. L'école est vite devenue un lieu de supplice. Trop jeune, peu intéressé, peu appliqué, empoté, tout concourrait à faire de mon parcours scolaire une course à obstacles. Évidemment, les professeurs sanctionnaient mes comportements par des retenues, des copies, des devoirs supplémentaires voire des humiliations. Autant de choses qui m'aidaient à détester l'école.

J'ai été chanceux d'avoir des parents qui ont cru en moi. Peu fortunés, ils se sont sans doute privés de plusieurs de leurs rêves pour m'offrir une chance de réussite. Chaque soir pendant une bonne partie de mon primaire, j'allais faire mes devoirs sous la supervision d'une enseignante retraitée. Cela m'aidait à passer, mais tout juste.

Je suis passé à travers mon primaire, j'y ai appris à me conformer à l'image que l'on avait de moi. Arrivé au secondaire, les choses n'ont guère changé. J'ignorais alors que j'étais affligé d'une difficulté d'apprentissage, la dyslexie. Il faut dire qu'à l'époque c'était une réalité dont mes professeurs ignoraient tout et, s'ils l'avaient su, je me serais sans doute retrouvé sur une voie de garage du système scolaire, condamné à apprendre un métier que je n'aurais pas aimé. Je lisais beaucoup, j'aimais écrire... c'était plein de fautes, mais c'était ma passion. Même cela, on a trouvé moyen de me faire comprendre que ce n'était pas ma place, que je ne serais pas écrivain (aujourd'hui je suis heureux de leur prouver qu'ils ont eu tort). Je me souviens d'une pièce de théâtre que j'avais écrite pour une activité de pastorale scolaire. J'étais fier... c'était probablement naïf, mais combien de jeunes de 15 ou 16 ans osent se commettre? La réaction fut un rejet sur la forme, trop de fautes, ça ne vaut rien, etc... La déception que j'ai connue alors est encore vive. Je me revois sur le chemin du retour à la maison en train de déchirer les pages de mon manuscrit tout en pleurant de rage.

J'ai été ce genre d'élève qui donne raison à ses professeurs. On me croyait cancre et j'agissais comme tel. J'ai obtenu mon diplôme d'études secondaire de peine et misère. À chaque année, j'attendais le bulletin de juin avec appréhension... est-ce que j'allais passer? 

J'ai fini par être admis au cégep, puis je suis allé à l'université.  Faute d'autre chose, j'avais appris la persévérance. J'avais appris que je pouvais réussir malgré mes professeurs et leur perception. Je me percevais comme un intellectuel et je le suis devenu. 

En fait, je dirais que j'ai subi l'école. J'y ai eu quelques bons professeurs qui furent des lumières sur ma route. J'y ai eu de nombreux professeurs qui n'étaient pas à leur place, ne sachant pas accompagner un élève ayant des besoins particuliers. À leur défense, je dirais qu'à l'époque, les écoles étaient pleines et les élèves une denrée bien moins précieuse qu'aujourd'hui, on se souciait peu de la réussite. On formait, on éduquait, on forgeait le caractère.

Ce qui m'afflige le plus aujourd'hui c'est de constater que les choses n'ont pas tellement changé. Ce soir j'entendais dans un bulletin de nouvelles français que l'on songeait, afin d'accompagner l'élève dans son parcours, à établir un bilan des aptitudes scolaires, et ce dès l'âge de 5 ans. Que va-t-il se passer? Le diagnostic sera conforté par la réalité, l'enfant et le professeur agiront en conformité. C'est navrant.

Un être humain est complexe, il est différent de son voisin, il est fragile et fort à la fois. Fragile si on le décourage, fort si on l'appuie. J'entends encore dire que des profs entrent en classe en disant, candidement et sans doute pour inviter les élèves à s'engager, que leur cours sera difficile, qu'il y aura des échecs (certains vont jusqu'à avancer un chiffre), etc. Ce genre de phrase est rassurant pour les meilleurs et fatal pour les élèves qui doutent d'eux-mêmes.

En apprentissage, on néglige beaucoup l'aspect affectif. Le cognitif, le savoir, prime alors que le contexte de l'enseignement et la perception que l'élève peut avoir de sa réussite joue un rôle déterminant. Le contexte, c'est d'abord le professeur qui par son attitude peut amener l'élève a percevoir sa capacité à réussir le cours.Il y a aussi et les autres élèves. Un jeune qui n'arrive pas à trouver sa place dans un groupe est sujet à l'échec. Le rapport à la matière, lire ici la perception subjective que l'élève entretient au regard de celle-ci (avoir la bosse des maths, le français c'est pour les filles, etc...), joue aussi un rôle déterminant dans la réussite.

Aujourd'hui je constate que c'est à cause de mes parents, de la foi qu'ils ont eu en moi que je suis passé au travers. Je doute toujours de mes capacités malgré de nombreuses réussites dont je suis fier. J'ai toujours peur d'affronter de nouveaux défis par peur d'échouer, mais paradoxalement c'est cette peur qui me pousse en avant parce que j'essaie toujours de me prouver que je n'ai pas raison de craindre l'échec.

RESEAUX D'APPRENTISSAGE

Rares sont les personnes qui apprennent seules, en autodidaxie. En fait, le développement des différents savoirs se fait généralement par le biais de liens plus ou moins étroits avec d'autres personnes. Souvent par imitation et observation, d'autres fois dans un cadre plus formel, l'apprentissage est le fruit de rapports humains.

Avant l'ère numérique, le réseau dépendait de l'espace (la distance) que pouvait couvrir une personne. Les ressources disponibles au village ou à la ville représentaient les limites à l'accès au savoir d'une personne. L'évolution des moyens de transport puis des moyens de communication a facilité la dispersion du savoir et la constitution de réseaux d'apprentissage et, partant, facilité l'évolution de la connaissance. Alors que franchir l'atlantique pouvait prendre plusieurs semaines il y a trois cents ans, aujourd'hui, la même distance est couverte en sept ou huit heures. Il est possible de parler avec une autre personne se trouvant à des milliers de kilomètres sans difficulté. Cela n'est pas neutre et ouvre l'horizon de la connaissance.

Au plan du développement de l'intelligence (potentiel biopsychologique), cette perspective est importante. En effet, les facteurs d'éveil se trouvent multipliés et démultipliés.Les ressources numériques et la facilité de communication ouvrent de nouvelles avenues. Tout comme avant, la personne doit cependant faire preuve de sens critique et gérer son accès au savoir.

Les réseaux d'apprentissage autrefois limités à un cercle restreint de personnes connues, voire reconnues, sont aujourd'hui plus complexes et s'ouvrent à des inconnus qui ont autant d'importance que les personnes plus proches. On conviendra que cela peut engendrer des problématiques, car on fait confiance sans vraiment être assuré de la crédibilité du porteur d'information.

Aujourd'hui, la notion de réseau éclate et se structure. Les communautés de pratique (ex. une association professionnelle) côtoient les communautés de production (ex. Wikipédia) ou les communautés d'apprentissage initiées par des enseignants ou autres. Les réseaux facilitent l'apprentissage en le rendant plus disponible. C'est là un avantage clair. Pourtant, cette large accessibilité a aussi un effet pervers, car il devient difficile de gérer ce savoir, de l'intégrer, de le maîtriser. Il importe donc de se méfier du "surfing" et de la maîtrise superficielle que cela peut engendrer.

L'école, autrefois le principal vecteur de la transmission du savoir et principal moteur des réseaux d'apprentissage, est aujourd'hui interpellée. Elle est invitée à vivre une profonde mutation afin de préserver son rôle d'éducation. À défaut de s'adapter, d'évoluer, elle risque de se trouve dépassée. Son apport aux réseaux numériques doit s'accroître. Au lieu de nier l'impact et l'importance des réseaux sociaux, elle doit au contraire s'y inscrire et en tirer parti afin de préserver sa mission de formation de citoyens.

CREER POUR SURVIVRE

Les cinq premières années d'une entreprise sont habituellement les plus difficiles. Celles qui franchissent ce cap sont habituellement vouées à un bel avenir. Que se passe-t-il au cours de ces premières années?

En fait, ces premières années sont celles de la création et c'est pourquoi elles sont si cruciales. L'idée d'origine du projet se concrétise, elle s'élabore, se développe pour devenir un bien ou un service. Cette construction est le résultat du travail créatif de plusieurs personnes. L'une développe un marché, une seconde fait la mise au point pendant qu'une autre travaille à assurer les approvisionnements. Tous sont en création. Peu à peu, les choses se placent, la croissance est au rendez-vous (ou le contraire et l'entreprise périclitent). L'entreprise atteint sa vitesse de croisière, son marché est mature. Les possibilités de croissance sont nulles à moins que l'entreprise n'entre dans un nouveau cycle d'innovation. 

L'innovation stimule et fait en sorte que l'organisation est toujours en apprentissage, mais aussi en action. Créer c'est risquer de se tromper, d'échouer, mais c'est aussi apprendre et apprendre permet de créer. Les entreprises doivent faciliter la création. Cela n'est évidemment pas simple et c'est là que l'esprit rationnel (c'est une dépense) vient s'opposer à l'esprit créatif (c'est un investissement). Il faut bien avouer que certaines idées ne méritent pas qu'on s'y arrête et encore faut-il l'avoir examiné un peu. En effet, le génie repose souvent sur la capacité de voir les choses sous un nouvel angle. Par exemple, vaut-il la peine de s'interroger sur les boutons. Certains ont deux trous, d'autres quatre... pourquoi pas trois ou cinq voire plus? Quel serait l'avantage, le bénéfice? 

Certaines entreprises vont croître en absorbant l'innovation des autres. Cette stratégie peut être intéressante dans la mesure où l'on conserve intacte la capacité d'innover. Dans le cas contraire, la croissance sera limitée. Il n'y aura pas de véritable effet sur l'organisation qui n'apprendra pas. Elle disposera de "connaissances" qu'elle ne transformera pas en "compétences". L'investissement sera alors une dépense.

PEUR DE RÉUSSIR

La peur habite l'humain, elle est là tapie dans un coin du cerveau. La peur peut découler d'un événement traumatisant, elle peut être le fruit d'un enseignement, elle peut aussi être la résultante des limites que nous nous imposons. 

La première peur, celle issue du véçu, de l'expérience, est vraie, réelle. Certains ont peur de l'eau, d'autres des hauteur, des foules, des lieux restreints et ont des réactions physiques. La seconde est transmise par des parents, des amis. C'est un construit qui repose sur du vague. La peur des loups, la peur des serpents, la peur des araignées sont de ce type. Il est vrai que certains serpents sont dangereux tout comme certaines araignées... or, au Québec on en rencontre fort peu. Pourtant la peur est là. Reste les peurs que nous nous imposons, la peur de réussir, de s'engager, de créer voire d'aimer. Ces peurs là sont plus pernicieuses car elle ne concerne que la personne, elle ne s'exprime pas clairement, sont rarement conscientes. 

La peur est liée au cerveau droit, celui que certains nomment le cerveau reptilien, le cerveau primitif, instinctif. Ces étiquettes témoignent de la nature de notre hémisphère droit qui gère nos émotions. Comme les deux hémisphères communiquent, il est certain que lorsque la situation va se présenter, le cerveau gauche, le rationnel, trouvera un motif pour éviter l'action ou faire échouer. C'est simple. La peur n'étant pas consciente, il faut bien que le cerveau trouve une explication, une justification. La peur de réussir est rarement consciente. Si elle l'était, le cerveau gauche ne laisserait pas cette peur agir. 

La peur peut être maîtrisée, apprivoisée car c'est là le secret. L'irrationnel, la source de la peur, est contrée par des faits et l'expérience personnelle. Cela est vrai pour les peurs construites et les peurs cachées. Les peurs issues des traumatismes (guerre, viol, accident, etc...) sont liées à des plaies encore vives et la guérison est plus complexe.

On dit parfois que la peur est salutaire mais il faut aussi se rappeler qu'elle est mauvaise conseillère.

COMPRENDRE LES CONFLITS

Lorsqu'on s'attarde aux rapports humains, les conflits attirent plus l'attention que les situations qui vont bien. Le bonheur ne fait que très rarement la une des quotidiens contrairement aux conflits et aux drames qui en résultent. Les connaissances dont nous disposons sur le cerveau humain, nous aident à comprendre ces conflits et, partant à tenter d'y apporter une réponse. Citons quelques exemples.

Au sein d'une organisation, on note une opposition grandissante entre l'équipe de gestion et un groupe d'employés. Les gestionnaires défendent leur imputabilité, leur droit de gérance et font valoir leurs rôles et leurs responsabilités pour expliquer certaines décisions, positions et orientations. De l'autre coté, l'équipe syndicale prend appui sur la culture de l'organisation, ses valeurs, son rôle et sa connaissance de l'appareil de production de même que son contrat de travail pour revendiquer. Après un certain temps, le conflit devient ouvert. Les syndiqués optent pour des moyens légaux, bloquent ou ralentissent la prise de décision susceptible de générer une adaptation nécessaire aux réalités du marché. Les gestionnaires constatent la dysfonction, recherchent des compromis et finissent par vouloir agir en dehors du personnel. A terme, le conflit se personnalise et un antagonisme s'installe entre deux personnes, chacune jouant un rôle clé.

En fait, nous nous retrouvons ici dans une situation qui oppose le cerveau droit et le cerveau gauche. Le droit est celui avec lequel les syndiqués traitent le réel. C'est donc l'émotion, l'empathie et le qualititatif qui prédominent. Le cerveau gauche, celui de l'équipe de gestion, est rationnel, systématique et quantitatif. Les deux hémisphères de l'organisation se trouvent en conflit et le cerveau est paralysé. La solution passe par une prise de conscience de cette réalité d'opposition et de ce qu'elle implique. Il importe de reconnaître que chaque partie, hémisphère, détient une partie de la solution. Une personne externe devra intervenir pour assurer une forme de thérapie. Il jouera le rôle du corps calleux, celui qui nuance, facilité la communication. Il ramènera la cohérence.

Il en est souvent de même dans les rapports hommes femmes. L'un est plus rationnel alors que l'autre est plus émotif. L'un veut des solutions, l'autre veut être entendu. L'ignorance des besoins de l'autre est source de tensions qui s'accumulent au point de générer une rupture. En fait un couple, c'est, en quelque sorte, la réunion d'un hémisphère droit et d'un hémisphère gauche. 

L'analogie qui est faite ici mérite d'être approfondie, car il faut aussi prendre en compte d'autres dimensions pour saisir la nature même des difficultés. Pour ce faire, on s'attardera aux différentes dimensions (les huit intelligences) pour bien saisir les nuances et les attentes.

DES NATIONS INTELLIGENTES

Peut-on transposer le cadre des intelligences multiples qui traite du cerveau humain à celui de la compréhension des sociétés? La chose est tentante. Considérons que le cerveau, le siège de l’intelligence de chaque société, est la sommation de l’ensemble des cerveaux de la population que comporte cette société. Chaque individu devenant, en quelque sorte, les neurones de ce cerveau social. C’est ainsi que les musiciens de cette société correspondraient aux zones du cerveau dédiées à cette intelligence. Il en serait de même pour chaque personne qui contribuerait par son action à l’action du cerveau collectif. 

Si un cerveau est le fruit d’un développement biopsychologique, il est possible d’affirmer qu’il en est de même des sociétés. Les sociétés africaines ont été mises en esclavage et dominés longtemps au point qu’elles peinent aujourd’hui à s’affirmer. Au plan psychologique, la chose s’explique alors qu’au plan biologique la chose s’explique aussi puisque l’économie de ces sociétés suffit à peine à assurer la subsistance des populations. Au Québec, la conquête, la rébellion de 1837 ont induit un repli sur soi qui a duré longtemps. Cela n’a pas été sans impact au plan psychologique. au plan économique, la majorité des francophones a vécu en milieu rural jusqu’au milieu du XXe siècle. Depuis, l’affirmation nationale tend à faire évoluer le cerveau collectif. Comment expliquer le tempérament américain? Un peuple qui jusqu’à la guerre de Corée a toujours été dominant, un peuple disposant d’un territoire riche et peu exploité.

Un retour dans l’histoire nous fera voir que certaines époques ont été marquées par des courants. Si l’occident est aujourd’hui résolument logico-mathématique et intrapersonnel, On peut dire qu’à d’autres époques, par exemple la renaissance, les arts (intelligences musicales et visuo-spatial) ont dominé. L’intelligence naturaliste marque encore le quotidien de plusieurs sociétés traditionnelles isolées, par les amish ou certains groupes isolés de la forêt amazonienne. 

Ce qu’il importe de saisir ici, c’est que pour comprendre une société, ses choix, sa réalité actuelle et future, il faut porter attention à son mode d’expression. Par exemple, il est assez clair que l’occident vivra au cours des prochaines décennies une évolution qui fera place aux aspects plus naturaliste et interpersonnel. Cela va marquer l’économie et les rapports humains.

Les sociétés sont intelligentes et leur cerveau vieillit aussi. il est plastique, il peut subir des électrochocs voire devenir amnésique. Les exemples de ces situations sont évidents. Par exemple, la renaissance de l’Allemagne ou du Japon après la Seconde Guerre mondiale témoigne de la plasticité, mais de l’effet de l’électrochoc que fut la Seconde Guerre mondiale. L’amnésie, surtout après une guerre, est aussi une réalité sociale surtout lorsque la société est dominante.

DUR DE S'ENTENDRE

Chaque jour, les unes des quotidiens de la planète font état des différends entre des personnes ou des groupes de personnes. Cela peut être deux voisins, un couple, des compagnons de travail, des politiciens voire des pays. Les divergences de vues s’expriment généralement en mots, parfois cela dégénère pour passer à un seuil de confrontation physique avec des résultats qui peuvent être néfastes.

Comment expliquer cela? En fait, il importe de se rappeler que chaque être humain est le fruit d’un développement biopsychologique qui fait en sorte que certaines intelligences sont plus présentes que d’autres. Ces intelligences ont un effet majeur au quotidien, car elles teintent le mode de pensée et de résolution de problèmes. Ainsi, un logico-mathématique aura de la difficulté à s’entendre avec un visuo-spatial ou un linguistique. Mais, il pourrait fort bien s’entendre avec un naturaliste. L’explication est simple, il réside dans le langage propre à chaque intelligence. Pendant que le premier quantifie, le second verbalise alors que le troisième image.  Tous auront recours aux mots, mais les mots et le mode d’expression ne seront pas les mêmes. 

Ajoutons à l’équation le genre dominant du cerveau de la personne (masculin /systématisation  féminin /empathie) pour mettre en évidence le nombre de possibilités de dialogues de sourds. La sagesse populaire nous invite à nous mettre à la place de l’autre pour communiquer, mais cela n’est pas aussi simple que cela. Se mettre à la place de l’autre implique que nous puissions disposer des mêmes acquis, ce qui est rarement le cas. Il ne faut pas prendre cette expression au pied de la lettre. Il s’agit plus tôt d’adopter une approche de communication qui tente de rejoindre l’autre dans sa dominante.

Ce que cela veut dire, c’est qu’il importe d’identifier le registre (lire l’intelligence) qui fonde l’expression de l’autre personne. Lorsque cela est fait, il devient possible de dialoguer. Par exemple un linguistique s’adressera à un logico-mathématique en adoptant une approche plus systématique (exemple: qui fait quoi, à qui, où, quand, comment, pourquoi). Le visuo-spatial abordera le logico-mathématique par le biais de la structure pour arriver à traiter des émotions et de la beauté. Ces exemples illustrent l’adaptation de la personne à toutes situations de communication et la maîtrise du cadre des intelligences multiples facilite ce travail.

SURCHARGE COGNITIVE

Notre capacité à gérer et traiter de l'information est limitée. Notre cerveau trie ce qu'il traite à partir de priorités que nous lui fixons. La difficulté est d'établir des priorités à partir de toutes les sources de stimulations que nous avons.

L'information arrive au cerveau via nos sens. Ces derniers sont notre interface avec l'environnement matériel (des objets) ou sensoriel (goûts, odeurs, sons, images, etc.). À chaque instant, le cerveau traite l'information afin de nous permettre de nous situer dans cet environnement et d'agir en conséquence. Une odeur de fumée, une sensation de chaleur au bout des doigts qui touchent un objet, la vision d'une flamme, le son strident d'une alarme, sont autant de signaux de danger qui seront interprétés selon le contexte.

L'information est reçue et traitée par notre cerveau. Que se passe-t-il lorsque l'information se bouscule à l'entrée? Par exemple une personne conduit une automobile et parle au téléphone. Les deux requièrent une concentration importante afin de tenir compte des éléments contextuels de chaque situation. La personne ne peut être performante dans les deux tâches, car il y a surcharge cognitive. Elle demande au cerveau de traiter simultanément deux séries d'information prioritaire. Cela génère des difficultés et des retards de traitement qui sont susceptibles de créer des problèmes.

Dans notre quotidien, nous nous conduisons comme ce conducteur avec son cellulaire. Nous induisons dans notre cerveau une surcharge d'information. Les courriels, les messages parus sur le mur Facebook, les "tweet" reçus auxquels s'ajoutent les autres sources d'informations disponibles: conversations, lecture d'un quotidien (d'un site, d'un fil RSS, etc.), radio ou télévision. Tout cela nous alimente et est traité par notre cerveau. Cependant, cela est connu, notre capacité de traitement est limitée. Pour être utile, une information doit transiter vers la mémoire à long terme. Quand la mémoire "tampon" de notre cerveau (la mémoire à court terme) est pleine, il ne suffit de presser sur un bouton pour que le contenu se déverse. Cette opération est une question de temps. Pour nous assurer de retenir ce qui est important, il faut guider notre cerveau. À défaut, il traitera tout sans discernement au risque de perdre de l'information utile.

La surcharge cognitive rend difficile la prise de décision, le cerveau étant encombré d'éléments non prioritaires ou inutiles qui sont en traitements. Qui plus est, plus la journée progresse, plus il y a encombrement. Notre cerveau est un outil d'une grande efficacité pour autant qu'il est exploité adéquatement. Il importe d'éviter de l'encombrer à tout moment. Un bon mode de gestion consiste à réduire la surcharge cognitive simultanée. Outre le choix du moment et l'intérêt de ne pas faire autre chose en même temps, il importe aussi, lorsque l'information arrive, de la traiter en terme de priorité pour que le cerveau sache quoi faire. Tant qu'il n'a pas de consignes, il tente de traiter, mais sans succès.

La surcharge cognitive a aussi un autre effet, elle génère de la fatigue intellectuelle, voire de l'épuisement. Une information, surtout lorsqu'elle comporte une charge émotive, constitue pour le cerveau un élément requérant une décision. Plus il y a retard dans l'indication de traitement, plus il y a consommation d'énergie ce qui explique la fatigue. À long terme, cela est néfaste et peut occasionner des problèmes de santé liés au cerveau: dépression, burnout, etc. Ces maladies témoignent du "ras-le-bol" d'un cerveau qui est en surchauffe, qui a besoin de discipline.

A FORCE DE LE RÉPÉTER

Notre société hyper médiatisée tend a créer des vérités avec des faussetés. Cela est assez fascinant. En effet, une fausseté qui est reprise et qui se répand dans les médias traditionnels ou électroniques tend, avec le temps, à devenir une vérité. L’exemple de la fin du monde annoncée pour décembre 2012 ou la question de l’impact de la pollution sur les changements climatiques témoignent de cette réalité. 

Sur le plan de l’intelligence, on peut s’étonner de voir que de tels messages prennent racine et se répandent. Pourtant, ce n’est pas aussi surprenant qu’il y paraît. En effet, nous nous retrouvons devant une situation qui fait appel aux intelligences interpersonnelle, linguistique et intrapersonnel.

L’intelligence interpersonnelle intervient ici dans le jugement, sur la crédibilité à accorder au porteur du message. Il n’est pas question ici du fond du message, mais de la forme. L’être humain juge une autre personne en une fraction de seconde. Le porteur du message importe donc. L’aspect interpersonnel s’exprime aussi dans l’interprétation du message symbolique exprimée. Nous savons que l’effet des neurones miroirs conditionne notre réponse au message de l’autre et que certaines expressions faciales ont une portée universelle. Ainsi, la peur exprimée risque d’être partagée. Enfin, le fait de voir l’information reprise par des médias auréolés d’une certaine neutralité donne de la crédibilité à l’information au plan social.

L’intelligence linguistique est celle du tribun. Il fera un discours qui saura rejoindre l’auditoire par les mots, les exemples, les intonations. Nous sommes toujours dans la forme. La prosodie, la rythmique propre à l’expression orale aura un effet majeur. En effet, en jouant convenablement sur les rythmes et les tons, le communicateur rejoint la personne dans ses émotions. Par exemple, si au lieu d’utiliser l’expression « génétiquement modifié », il a recours à l’expression « aliment Frankenstein » tout en usant d’un ton approprié, il s’assure d’un effet certain et plus fort.

En ce qui a trait à l’intelligence intrapersonnelle son action est celle de l’intégration du discours dans l’ensemble des valeurs, attitudes, attentes ou besoins de la personne. Ici encore, c’est un aspect émotif qui joue. L’un des éléments est celui de la réconciliation de son point de vue personnel sur la question avec celui exprimé. Le fait de voir l’information reprise et reprise, notamment par des médias ou des porteurs de messages crédibles, génère une forme de dissonance émotive ou cognitive chez la personne qui cherche alors à rétablir l’équilibre.

Globalement, c’est la forme qui importe ici. Dans une société comme la nôtre qui valorise le paraître au lieu de l’être faut-il s’en étonner?

Le fond importe peu. Il pourrait y avoir réfutation, mais la chose pourrait passer inaperçue, car peu intéressante au plan médiatique eu égard au porteur du message. Gageons que si le porteur du message contradictoire était aussi « charismatique » que son collègue, nous obtiendrions un beau débat médiatique... toujours sur la forme. Tout ceci pour dire de McLuhan avait raison de dire que le médium c’est le message.