samedi 29 décembre 2012

SCIENCES ET SOCIÉTÉS

Il y a quelques semaines un tribunal italien reconnaissait que des scientifiques pouvaient être poursuivis parce qu'ils n'avaient pu prédire correctement un tremblement de terre. La chose a de quoi surprendre à priori, mais, à bien y penser, est-ce si surprenant que cela? Comment se surprendre devant la négation par bien des personnes de l'effet de l'activité humaine sur les changements climatiques?

En fait, je crois que l'explication réside en partie dans l'image que l'on veut donner de la science afin de la valoriser au détriment des autres activités humaines. La science semble être la source du développement de l'humanité. En effet, à force de tout vouloir expliquer, calculer, prédire, prévoir, la science se trouve confrontée à elle-même. En fait, notre société semble gouverner par un credo logico-mathématique au sein duquel la logique et le numérique occupent toute la place occultant toute autre manière de voir le monde.

L'humain veut comprendre ce qui l'entoure, l'expliquer. Or, son savoir est limité et ses explications sont souvent des hypothèses plus que des vérités qu'on nous assène pourtant comme telles. En fait, le savoir est neutre, c'est ce l'humain en fait qui importe. Les vrais scientifiques vivent dans le doute et seront toujours hésitants à affirmer que l'information dont ils disposent est complète et définitive. Ils connaissent trop les limites de leur travail pour être aussi affirmatifs. Parce qu'ils doutent, ces personnes ne font pas la première page des médias. Ce sont les autres, ceux qui oublient que leurs travaux ont des limites, qui causent du tort à la science en présentant des vérités qui n'en sont pas.

Pendant une grande partie du dernier siècle, la science a occupé le haut du pavé. Aujourd'hui, la science est questionnée, l'humain doute de la vérité scientifique. L'alliance de la science avec les impératifs économiques du financement de la recherche a créé un mélange explosif qui fait en sorte que l'on se retrouve avec deux discours scientifiques qu'il est bien difficile de distinguer et de critiquer. Les exemples de demies-vérité scientifique sont multiples tout comme les effets négatifs de certaines recherches menées sans réflexion éthique au nom de la science sans aucun souci pour l'utilité ou l'impact des résultats sur les personnes.

La science est nécessaire. La question qui se pose est celle du soutien à la recherche. C'est vrai pour toutes les formes de prospection des différentes dimensions de notre univers physique, social ou biologique. L'inféodation à un soutien financier (quel qu'il soit) crée une dépendance qui oriente consciemment ou inconsciemment le travail. Un chercheur livrera-t-il des résultats qui nuiront à son commanditaire? Poser la question c'est y répondre.

La science doit se redéfinir pour reprendre sa place dans nos sources d'explications. Elle ne peut être la seule et elle doit faire place aux autres disciplines, par exemple les sciences humaines, afin de proposer une perspective plus cohérente de la réalité de notre monde et de notre univers.

dimanche 14 octobre 2012

Évaluer les attitudes


L’évaluation des attitudes pose des difficultés à bien des professeurs. Les objectifs ont beau être clairs, les standards précis, la chose demeure complexe. Comment expliquer cela? En fait, la réponse réside dans les acquis mêmes des évaluateurs.

Partons d’une situation d’évaluation simple. Les professeurs n’éprouvent habituellement pas de difficultés à évaluer des apprentissages disciplinaires. Lorsqu’il est question d’évaluer la qualité du français, plusieurs produisent des évaluations fondées alors que d’autres se contentent d’évaluation plus limitée. Que se passe-t-il? Le professeur évalue en fonction de son propre niveau de maîtrise de la matière. Cela signifie qu’il détient un niveau de compétence qui va au-delà des bases. Il en maîtrise le langage, les règles. La différence est là.

En mathématique, par exemple, le langage est celui des nombres et les règles qui s’appliquent sont celles des conventions établies. Tant qu’une personne n’a pas atteint un certain niveau de maîtrise du langage et des règles, elle ne peut évaluer convenablement. Elle peut aisément indiquer que la personne n’a pas donné la réponse attendue, dans la mesure ou il en dispose. Mais évaluer ce n’est pas cela, c’est juger. Juger signifie que l’évaluateur va réaliser une observation, qu’il va suivre la démarche afin d’être en mesure d’émettre un jugement, mais, aussi et surtout, dans le contexte d’une relation d’apprentissage, de pouvoir faire une rétroaction à l’élève.

Il en est de même pour l’évaluation de la qualité du français. Comment une personne peut-elle évaluer un objet qu’elle ne perçoit pas, qu’elle ne détecte pas? Si l’observation de certaines règles de base (par exemple le pluriel des noms propres) est à la portée de la plupart des gens, il n’en est pas de même de certaines autres, plus complexes.  Si ces règles ne sont pas acquises par l’évaluateur il peut soit laisser passer une erreur, soit méjuger une situation correcte et la pénaliser. Dans un cas comme dans l’autre, l’élève est pénalisé.

On conviendra que dans les deux exemples qui précèdent, l’évaluateur a atteint un certain niveau de littératie qui le prépare à sa tâche. Ce niveau qui pourrait facilement être établi pour un ordre d’enseignement donné implique une maîtrise de la langue et de ses règles.

L’évaluation des savoir-être répond au même modèle. Ce que l’on observe, c’est que les professeurs sont d’excellents praticiens. Ils maîtrisent les attitudes requises, ils sont aptes à les mettre en pratique, mais lorsque vient le moment de les évaluer, ils sont confrontés au langage et à ses règles spécifiques. Ils n’ont pas développé un niveau de littératie suffisant pour évaluer.

Les savoir-être ont leurs propres taxonomies (Krathwhol par exemple) qui sont fort répandues. Les attitudes sont liées à des comportements, à l’interpersonnel, et sont conditionnées, en tout ou en partie, par la personne, son intrapersonnel. Howard Gardner, dans son cadre de référence sur l’intelligence, identifie l’intrapersonnel et l’interpersonnel comme deux intelligences distinctes que chaque humain a la capacité de développer. Pour Gardner, ces deux intelligences ont leur propre langage et règles. Or, contrairement aux autres intelligences décrites par Gardner, par exemple l’intelligence linguistique ou l’intelligence logico-mathémathique, l’enseignement du langage propre à ces deux intelligences ne fait pas partie des prescriptions des systèmes scolaires. Ils y apparaissent à titre transversal ce qui signifie que l’acquisition de ces compétences se fait en concomitance avec d’autres, mais qu’elles sont peu ou pas évaluées. Comment les personnes peuvent-elles développer leurs compétences dans ce contexte?

Une partie du langage spécifique à ces deux intelligences est lié aux émotions, ce qui a amené Daniel Goleman à regrouper les deux sous le vocale d’intelligence émotionnelle. Lorsqu’il est question des émotions, force nous est de constater qu’une majorité de personnes sont à tout le moins analphabètes sinon illettrées. Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut dire qu’une majorité de personnes sont tout juste aptes à décoder les émotions sans pour autant pouvoir vraiment tirer profit de ces informations.

Pourriez-vous répondre aux questions suivantes :
Ø  Croyez-vous que chaque être humain a son propre tempérament qui détermine en tout ou en partie son comportement?[1]
Ø  Combien d’émotions un être humain peut-il exprimer?[2]

Pour enseigner les attitudes et les évaluer, il faut être en mesure de les objectiver, c’est-à-dire d’être en mesure de l’expliquer en termes clairs, concrets et compréhensibles, d’en témoigner des manifestations, des composantes et de les contextualiser.

Dans le cas qui nous occupe, cela signifie qu’un professeur devrait être en mesure d’évaluer la dimension non verbale et verbale d’une situation donnée afin d’en dégager les attitudes et de les comparer à une norme ou à un standard attendu. Ainsi, par exemple, il devrait observer et en faire une synthèse:
-       L’expression orale, notamment les termes utilisés, l’intonation (prosodie);
-       L’expression faciale, non seulement les émotions, mais aussi les micros expressions;
-       L’expression corporelle, par exemple la nature des gestes (référence à la synergologie), le caractère des gestes (brusqueries ou douceur).

On conviendra que bien peu de personnes sont aptes à réaliser de telles observations. Or, ces trois dimensions ne sauraient couvrir toute l’étendue de l’évaluation des attitudes.

L’évaluation des attitudes implique qu’un professeur développe ses compétences dans la compréhension du langage des attitudes. Qu’il passe du niveau de praticien à celui d’observateur apte à décomposer les situations et à identifier, dans le contexte d’une situation d’apprentissage, les éléments positifs, ceux requérant une attention particulière méritant un effort de ceux qui sont encore à développer.



[1] Le tempérament fait référence aux caractéristiques individuelles, dont la base serait biologique (génétique + facteurs prénataux et périnataux), qui déterminent les réactions affectives, attentionnelles et motrices dans diverses situations.
[2] En fait, il y a six émotions de base que soient universelles caractérisées par une expression faciale particulière. Ces émotions sont : la surprise, la colère, le dégoût, la tristesse, la peur et la joie.

lundi 21 mai 2012

GÉRER LE CHANGEMENT

Le gouvernement québécois ne gère pas la crise avec les étudiants, il gère des relations publiques, son image. La différence est grande et évidente. Cela explique pourquoi la situation s'envenime.

Les gouvernements tendent de plus en plus vers ce mode de gestion qui s'appuie sur une opinion publique satisfaite, du moins largement satisfaite et qu'il s'emploie à manipuler à l'aide des médias qui n'ont plus guère de sens critique.

Le gouvernement du Québec a annoncé dans un budget précédent son intention d'augmenter les droits de scolarité. A-t-il entrepris de gérer ce changement? La réponse est non, s'il l'avait fait, il n'y aurait pas eu de crise. Soit il aurait amené les jeunes à adhérer à sa politique, soit il y aurait eu un compromis voire le maintien du statu quo.

Quel est le rôle d'un ministre voire d'un premier ministre? C'est un rôle de gestion, mais une gestion stratégique, une gestion qui regarde en avant, qui prévoit, qui organise. Est-ce que nos élus jouent ce rôle? La réponse est évidente. Un tel gâchis mériterait à un étudiant un échec. Mais eux vont se mériter un gros salaire, une belle pension et un poste pépère de prête-nom afin de cacher leur incompétence.

Le plus surprenant dans tout cela c'est qu'on ne pose pas la question. Pourquoi en sommes-nous arrivés là? Ce n'est pas la faute des étudiants qui n'ont aucun pouvoir. Nos dirigeants ne font pas leur travail. Ils délèguent le problème à des fonctionnaires ou des responsables scolaires qui n'ont pas le pouvoir ou la légitimité requise pour régler la situation. Une injonction est émise. au directeur général d'agir. Que peut-il faire? Ses gestes vont envenimer la crise, il le sait. Mais, il n'a pas le choix, car la loi ne se permet pas ce genre de réflexion.

D'une manière assez surprenante, nous en sommes rendus à nous faire dire qu'il ne faut pas manifester, mais bien attendre et mettre le gouvernement dehors lors des élections. Un tel discours est ridicule. Cela revient à dire que le peuple n'a plus à s'exprimer entre les élections. Un gouvernement élu "démocratiquement" peut faire ce qu'il veut! Ailleurs sur la planète on parle de dictature pour de telles situations. Nous sommes manipulés, en sommes-nous conscients?

UNE MUTATION CULTURELLE

La crise sociale se poursuit et personne ne peut en prédire l'issue. Une loi a été votée afin de tenter de mater la grogne étudiante. L'effet obtenu est évidemment le contraire de celui attendu. La population ne prend pas parti, elle en a juste ras le bol des manifestations incessantes. À travers tout cela, les médias jouent leur rôle de "haut-parleur". Ils amplifient le discours du gouvernement qui ne parle pas du fond de la question, mais de la forme. Ils contribuent au détournement de sens.

Le problème de l'accessibilité est fondamental et culturel. On tend à l'oublier. La société québécoise est fondamentalement égalitaire. Peuple de paysans, d'artisans et d'ouvriers, ce n'est qu'au milieu du XXe siècle que notre société s'est ouverte sur le monde en se donnant des institutions dont le rôle était justement celui de la construction d'une société égalitaire. Les grandes réformes sociales reposent sur cela. Si tous étaient égaux auparavant, tous devaient le demeurer dans l'effort de modernisation de notre société.

L'ouverture sur le monde a permis à une génération de québécois de confronter leurs valeurs à celles des autres. Vers la fin du siècle dernier, la tendance a vouloir remettre en cause le modèle égalitaire a commencé à émerger. Il est aujourd'hui très fort et porté par une élite qui tient à avoir certains privilèges qu'elle a pu observer ailleurs.

D'une société de l'interpersonnel et de l'intrapersonnel, nous mutons vers un modèle logico-mathématique et visuospatial. Le pouvoir de l'argent et les apparences prennent la place. La crise actuelle est en fait un élément dans cette tendance, un choc entre deux visions du monde. D'un coté les "élites" qui prônent la "méritocratie" et de l'autre les jeunes qui valorisent "l'égalité". Choc des générations, fracture sociale, crise des valeurs, les mots pour désigner la chose ne manquent pas. Tant que nous ne prendrons pas conscience de cela, il est probable que la chose ne se règlera pas. Il y aura peut-être une accalmie, mais la crise reprendra.

Ici ce sont nos étudiants, ailleurs ce sont des jeunes "indignés". Le problème est le même, ce qui a déclenché la crise est différent, là-bas le chômage ici une remise en question d'un acquis. La solution ne sera pas simple à trouver et ce n'est pas une loi, dans des discours portant sur la démocratie, la justice et le droit qu'on trouvera la réponse. Le mal est profond, très profond et les excès des uns créent un profond malaise.

mardi 15 mai 2012

INTELLECT versus ÉMOTION

J'ai mis bien des jours à décider de me lancer. J'hésitais sans trop savoir pourquoi. Un jour j'y croyais, le lendemain non. J'étais confiant, puis les craintes revenaient. Quoi qu'il en soit, au dernier moment, j'ai posé le geste et j'ai expédié le message soumettant ma candidature. Deux jours plus tard, je recevais un appel me convoquant en entrevue. J'avoue que j'aurais été déçu qu'on ne me convoque pas. Comme je devais passer un test et que j'avais omis de demander de quoi il s'agissait, j'ai imaginé que ce serait un test de français et j'ai donc potassé ma grammaire une bonne partie de mon dimanche. Ces exercices m'ont évité de penser à l'entrevue.


Lundi matin, je découvre que le test est en en fait un texte d'opinion. Rien de bien difficile. Une heure plus tard, je termine un texte qui me satisfait. Je passe la journée à mes occupations habituelles. Mon rendez-vous étant tard, je profite du début de soirée afin de préparer mon entrevue. Je prends appui sur un canevas classique afin de prévoir les questions et m'y préparer. Il y a du retard et j'entre en entrevue vingt minutes après l'heure prévue. 


Le Comité comprend cinq personnes, trois me connaissent depuis longtemps et deux autres vont me découvrir. La forme d'entrevue me déjoue. C'est un dialogue avec une seule personne. Une autre intervient à l'occasion afin de me demander des précisions. Comme cette personne me connaît bien, j'interprète ses interventions comme une invitation à en dire plus. Cela me déstabilise, mes réponses sont-elles incomplètes?


Je commence à perdre pied. Les réponses que je donne à certaines questions sont, à mon avis, ridicules et témoignent d'une bonne méconnaissance du rôle et des responsabilités, alors que c'est tout le contraire dans les faits. Je constate que, globalement, mes réponses tendent à tourner autour d'une seule réalité, un peu comme si je ne voyais qu'un arbre alors qu'il y a une forêt. Plus l'entrevue avance, plus j'ai l'impression d'être ridicule. On me tend des perches et au lieu de les prendre et de m'en servir à mon profit, je passe à côté. Je rate des occasions de me rattraper.


L'entrevue dure un peu moins d'une heure alors qu'on m'avait annoncé trente minutes de plus. Nouvelle source de déstabilisation! On me demande si je souhaite ajouter quelque chose, j'ai juste hâte de partir. Ce que je fais. Sur la route du retour, je repasse l'entrevue dans ma tête et je n'y vois rien de très brillant. J'ai passé plusieurs entrevues et je suis bon juge de mes performances et celle-là était lamentable.


J'ai mal dormi. À mon réveil, je suis fatigué. Je vois sur mon bureau la feuille de calcul présentant des scénarios de retraite et l'idée de retirer ma candidature fait son chemin. En arrivant au bureau, je prends quelques minutes pour faire différentes choses puis j'écris aux membres du comité afin de les informer de ma décision de retirer ma candidature.

Voilà l'histoire, que s'est-il passé? En fait je crois que je me suis retrouvé au centre d'un conflit intérieur non résolu. Ce conflit oppose mon intellect et mes émotions. Mon intellect souhaite se mesurer aux défis du poste et croit avoir les outils qu'il faut pour réussir. Mes émotions me disent que je vais devoir faire des sacrifices, que je vais sans doute souffrir. Suis-je prêt à cela? Au moment d'écrire ces lignes, je doute encore. Je suis à la fois déçu et satisfait de ma décision. Cela va sans doute durer quelques jours, puis je passerai à autre chose. D'autres projets vont naître et me mobiliser. Je me rends compte que ce qui me dérange le plus c'est moins ma décision que l'interprétation qui en sera faite. À cela je ne peux rien faire. J'aurai l'occasion de m'expliquer un jour, mais pas maintenant.

Au plan de l'intelligence, on dira que mes deux hémisphères se sont affrontés, l'espace rationnel versus l'espace émotionnel, la logique contre l'intuition, etc. Cela illustre bien les dimensions de l'intelligence intrapersonnelle. À la fois les buts, les rêves, mais aussi les émotions s'expriment à travers cette intelligence qui joue un rôle majeur dans notre action par les motivations qu'elles génèrent.

dimanche 22 avril 2012

Régir au lieu d'éduquer

Notre société a tendance à réglementer, légiférer, baliser et organiser notre vie. Le sens commun ne semble plus exister. On retrouve des avertissements ridicules sur une foule de produits de consommation juste pour éviter les poursuites judiciaires. Mais, pour moi, c'est un témoignage inspirant du niveau de bêtise qui marque notre société. Comment croire qu'il y a quelqu'un d'assez inepte pour ne pas comprendre qu'un café qui vient d'être servi, sera chaud! Et, surtout, comment croire que quelqu'un qui va pourrait poursuivre pour une situation comme celle-là, va prendre le temps de lire l'avertissement!

L'explication de cela réside dans la déresponsabilisation. Si ce n'est pas interdit, c'est que la personne peut le faire. On informe, on sensibilise, on inspecte, on norme tout cela pour protéger la personne contre elle-même et les organisations contre les poursuites. Récemment j'échangeais avec un collègue qui me disait qu'il fallait introduire dans un règlement des précautions pour éviter des poursuites. À quand un texte dans un plan de cours qui informera un élève qu'en s'inscrivant à ce cours il est possible qu'il ait un échec.  La chose peut paraître farfelue, mais pas plus que l'avertissement que l'on retrouve sur le contenant à café.

Quand on cherche à faire des économies dans notre société, il faudrait cibler toute cette énergie gaspillée. Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas régir, mais tout n'a pas à être régi. J'ai de plus en plus de difficulté avec l'incapacité que j'observe à agir d'une manière responsable et éthique. N'est-ce pas cela qui devrait être régi?

Le pire dans tout cela, c'est que la déresponsabilisation n'est pas qu'individuelle, elle est a grande échelle. J'en veux pour exemple l'attitude des grandes entreprises qui n'hésitent pas, au non du profit, à mettre en marché des produits dangereux (la cigarette par exemple) ou à exploiter des procédés, qui obligent la mise en place de tout un code de normes et de règlements ou qui ont des impacts collectifs. J'en veux pour preuve l'attitude sur les changements climatiques ou des comportements individuels aberrants. Comment concevoir que l'on puisse conduire une automobile à 110 kmh sur une autoroute tout en accomplissant une autre tâche (clavarder par exemple). "Je n'ai jamais eu d'accident et je fais ça tous les jours." En fait, il n'y a pas eu d'accident parce que les autres conducteurs ont tout fait pour l'éviter! Qui peut se targuer de connaître toutes les règles qui régissent notre vie collective? Personne! Cela signifie qu'au quotidien, sans le savoir, nous transgressons sans doute ces textes. Ces derniers sont-ils nécessaires? Ils le sont non pas pour prévenir, mais pour faire en sorte que la personne ne puisse exiger un dédommagement pour sa bêtise! Que de temps perdu.

En tant qu'éducateur, la question m'interpelle. À trop vouloir enseigner des "connaissances" n'est-on pas en train de négliger de former la personne à avoir des comportements appropriés? Ne serait-il pas préférable (et plus rentable) d'éduquer à la vie en société plutôt que de régir la vie en société? Être responsable, assumer les gestes qu'on pose, est-ce agir en adulte? Qui gagne à la déresponsabilisation?

Je n'ai pas la réponse, mais j'observe que notre société est une qui valorise la consommation. Tout se monnaye, tout se s'achète et se paie. Il a bien peu de choses qui n'aient pas une valeur économique. Le bien commun ne semble plus exister, l'espace individuel prend toute la place. Ce qui n'est à personne appartient forcément à quelqu'un!

La déresponsabilisation fait en sorte que nous attendons de la société qu'elle s'occupe de nous, de notre avenir, de notre quotidien, de notre santé, de nos enfants, etc. Cela signifie aussi que nous refusons aussi d'assumer le coût collectif que cela représente. C'est là un beau paradoxe.

Une révolte adolescente

Bientôt 70 jours de grève étudiante! Les tensions montent, le bras de fer entre le gouvernement et les étudiants ne semble pas vouloir prendre fin tant les positions de l'un et de l'autre sont campées. D'un côté, le gouvernement qui ne veut pas discuter du fond et qui cherche à amener le débat sur d'autres dimensions en discréditant les étudiants et de l'autre, les étudiants qui ont des positions qui font en sorte qu'ils sont dos au mur sans possibilité de repli. À cette étape-ci, céder ce serait perdre la face. Les étudiants n'ont quasiment plus rien à perdre et le gouvernement, qui cherche un enjeu électoral, non plus.

Bien des personnes se sont prononcées sur la situation. Je souhaiterais contribuer à la réflexion. Je crois qu'il faut assimiler les revendications étudiantes à une révolte. Une révolte propre à cet âge de la vie. Le débat sur les droits de scolarité est le déclencheur, mais ce n'est pas la vraie question. Selon moi, la question est celle de l'avenir auquel les jeunes seront confrontés. En mettant au coeur du débat la hausse des droits de scolarité, les étudiants expriment d'abord une inquiétude face à leur avenir économique. Ne perdons pas de vue qu'en sus, ils auront à travailler plus longtemps avant de profiter de la retraite, qu'ils devront payer plus de cotisations sociales et que leur niveau de vie sera sans doute inférieur à celui de leurs parents. Si j'étais à leur place, je crois bien que je serais dans la rue.

Je ne parle pas de valeurs de partage, mais de faits. On aurait beau vouloir "mutualiser" les effets de ces situations économiques probables, cela ne changerait rien. Les caisses de retraite sont déficitaires, le nombre de travailleurs disponibles est moins important et l'écart entre les riches et les pauvres se creusent en même temps que l'on voit le déplacement des pôles économiques vers l'Asie. Les jeunes qui sont dans la rue ne pourront connaître la vie de leurs parents et ces derniers sont coupables d'une forme de déni ou d'aveuglement.

Le gouvernement gère très mal cette crise. Au lieu de tenter de comprendre le problème et de lire entre les lignes, ils posent, lui-même des gestes adolescents. Les éducateurs vous diront qu'un adolescent (car c'est de cela qu'il s'agit, même si la majorité des grévistes ont 18 ans ou plus, ils sont au plan du développement de leur cerveau des adolescents) a beaucoup de difficultés à exprimer sa pensée et ses émotions. Il faut interpréter... "T'sé veut dire!"

Tant que le gouvernement va jouer à l'adolescent, il n'y aura pas de solution. Le gouvernement espère diviser le mouvement étudiant, il y arrivera peut-être. Il mise sur l'essoufflement, car les conséquences individuelles vont bientôt se manifester (prolongation des sessions, emplois d'été, etc.), c'est une chose possible. Il souhaite (sans l'avouer) une radicalisation du conflit, cela est en cours. Il veut prouver à sa clientèle électorale qu'il peut prendre et assumer des décisions difficiles. En fait, les étudiants sont victimes d'un jeu politique. Le gouvernement se sert d'eux, qui ne lui sont pas favorables de toute manière, pour regagner la confiance qu'il avait perdue auprès d'une partie de l'électorat.

Le temps joue contre l'un et l'autre et c'est le gouvernement qui a le plus à perdre. Lorsque les employeurs touristiques vont se rendre compte qu'ils ne pourront compter sur les étudiants au moment prévu, lorsque certaines personnes (dans les hôpitaux par exemple) ne pourront prendre leurs vacances ou que le niveau de services va baisser faute de main d'oeuvre, lorsque les parents devront soutenir financièrement leurs jeunes... c'est le gouvernement qui va être pointé du doigt.

Les jeunes jouent leur avenir à long terme, le gouvernement a un agenda à court terme. Tout le problème est là.

mercredi 4 avril 2012

RECEVOIR LE PRIX GÉRALD SIGOUIN

Il y a quelques semaines j'ai appris que je recevrais un prix que je considère comme très prestigieux. J'avoue avoir été choqué par l'annonce. On peut rêver d'une reconnaissance, sans vraiment croire qu'elle vous sera attribuée. Lorsque la chose arrive, c'est un test de réalité. Les questions fusent: pourquoi moi? n'y a-t-il pas de plus méritants? qu'ai-je fait de si important, de si grand? je suis loin d'avoir la stature de telle ou de telle personne qui ont déjà reçu le prix... etc.

Je suis passé donc par une phase difficile, une sorte de refus d'accepter. Je me suis considéré un peu comme un imposteur. J'ai mangé mes émotions. J'étais habité par l'ambiguïté. Je passais d'une sorte de béatitude à une phase de déni. Je crois que je craignais le jugement des autres, plus que le mien. C'est maintenant derrière moi.

Ce qui m'a réconcilié c'est que ce prix il m'a été attribué par des pairs, non pas des collègues, mais des personnes qui n'ont pas nécessairement travaillé avec moi, mais qui ont pu observer mon travail et, sans doute, l'apprécier. Ce qui m'a réconcilié c'est que ma candidature a été soumise par des collègues immédiats et qu'elle a été appuyée par plusieurs personnes qui ont, semble-t-il, produits des lettres d'appui très significatives. Qui plus est, je sais que les personnes qui ont déposé ma candidature ont mis beaucoup d'énergie et qu'elles sont heureuses du résultat. Ce qui m'a réconcilié, c'est de recevoir des gens qui m'entourent au Collège des témoignages qui, en quelque sorte, confirment la valeur de ma contribution.

Si je ramène tout cela dans le contexte des intelligences multiples, il est certain que nous nous retrouvons dans une interface des intelligences personnelles. C'est une belle démonstration du lien qui unit ces deux dimensions d'une personne.

Nous sommes souvent de mauvais juges de nos actions et cela s'explique simplement. En effet, nous posons des gestes qui sont cohérents et conséquents avec nos capacités. Il n'y a rien d'extraordinaire en cela. Être soi-même est-il méritoire? Faire ce que l'on croit devoir être fait est-il exemplaire? Respecter ses valeurs doit-il être reconnu? N'est-ce pas le lot de chacun? Ces questions sont celles de l'intelligence intrapersonnelle.

C'est le regard des autres qui fait en sorte d'apporter des réponses. Il nous parle de l'effet ou de l'apport que nous avons, du rôle que nous jouons. Le reflet de ce que nous sommes vient des autres. Il y a d'abord celui de ceux qui nous aiment. Ils sont inconditionnels et ce miroir est utile au quotidien comme point d'appui affectif. Il y a ensuite celui des collègues, des partenaires, des relations, voire des étrangers. Ils proposent un reflet sans fard, direct. Parfois dérangeant, parfois blessant, ce regard facilite l'auto-évaluation. Ces gestes sont ceux de l'intelligence interpersonnelle.

Je suis donc passé par ces étapes, ces débats, ces regards. Je vais devoir vivre avec ce prix qui témoigne d'un ensemble de réalisations qui ont de la valeur aux yeux des autres et, bien entendu, aux miens. La valeur que je puis leur accorder est sans doute différente de celle que d'autres leur attribuent, mais cela n'est pas important, car je sais qu'il est difficile de mesurer l'apport que nous pouvons avoir.

Pour conclure, j'avoue donc m'être réconcilié avec l'idée du prix. J'ai de la reconnaissance pour les personnes qui ont permis que cela m'arrive et je remercie les collègues qui m'ont jugé digne de l'honneur.

samedi 28 janvier 2012

NEURO PÉDAGOGIE

L'évolution rapide des connaissances sur le cerveau humain, son organisation et son fonctionnement est une source à laquelle les pédagogues auraient avantage à s'abreuver. Dans un premier temps, ils y trouveraient des confirmations objectives de certaines intuitions ayant mené à des stratégies qu'ils exploitent. Par la suite,  compte tenu d'une meilleure compréhension de l'apprentissage, ils pourraient sans doute imaginer de stratégies d'enseignement et d'apprentissage encore mieux adaptées aux situations qu'ils doivent gérer.

Nous sommes à l'aube de ce que je nomme la "neuropédagogie". En fait les sciences cognitives tendent à révolutionner différentes disciplines. Ce qui se produit, c'est que la compréhension du mode de fonctionnement du cerveau permet à qui détient la clé, d'agir afin de favoriser un comportement plutôt qu'un autre. Présentement, le neuro marketing  (je vous invite à explorer ce thème via votre moteur de recherche, vous serez surpris de ce que vous découvrirez) se développe à grande vitesse. La perspective est simple, rejoindre les consommateurs. Ces derniers sont, en quelque sorte, manipulés à leur insu et incités à consommer.

Ce n'est pas une question d'intelligence. En s'adressant de la bonne manière au cerveau, la réponse ne peut qu'être celle attendue. Déjà, les spécialistes s'activent et agissent. Évidemment, nous pourrions discuter de la chose au plan de l'éthique, et cela viendra sans doute. Pour le moment, rien n'empêche les apprentis sorciers de passer à l'acte.

Les pédagogues, sans aller aussi loin que les spécialistes du marketing, ont tout intérêt à s'attarder à décoder les processus de la mémoire, les interactions entre les deux hémisphères du cerveau, le mode d'encodage des savoirs, l'impact des sens et de l'affectif sur l'apprentissage, la dynamique de la maturation et de la structuration du cerveau, le rôle et la fonction des différentes régions du cerveau et surtout comment tout cela interagit. Ce faisant, ils comprendront mieux les gestes qu'ils posent et seront mieux en mesure de planifier leurs actions.

Il est certain que cela exigera un effort important, car il s'agit de s'investir dans un univers scientifique afin de réaliser une transposition dans le monde des sciences humaines. Pourtant, cet effort d'appropriation et de vulgarisation est nécessaire.

Le rôle du pédagogue est de guider et d'accompagner, pour l'exercer il doit exploiter les ressources mises à sa disposition. Nous savons que l'intelligence est avant tout une capacité susceptible de se développer sous l'effet de l'interaction de la biologie et de la psychologie (ces deux termes étant pris au sens large), alors, il nous appartient de faire en sorte que cette capacité (qui se décline en au moins huit dimensions) se développe le plus possible.