samedi 19 novembre 2011

VÉGÉTATION ETAGÉE

Le souvenir des détails est flou, c'était au début de mon secondaire en classe de géographie, le professeur demande aux élèves "qu'est-ce qu'on entend par végétation étagée? » Je me vois encore fier d'avoir une réponse à fournir. Je suis le seul, ou le plus rapide, à lever la main. il me pointe du doigt. "La végétation étagée c'est quand une plante pousse par dessus une autre, par exemple dans un tronc d'arbre." Je n'ai pas souvenir des mots du professeur, mais j'ai un bon souvenir du sentiment de honte que j'ai éprouvé. La végétation étagée c'est plutôt un concept qui réfère au mode de régénération d'une forêt. Ma réponse n'était pas idiote, j'avais vu très souvent des plantes prenant racine dans un tronc d'arbre mort, mais ce n'était pas la bonne réponse, celle attendue. (Notons au passage la nature du souvenir qui est ici marqué par l'émotion.)

J'avais déjà à l'époque une faible estime de moi, ça n'a pas arrangé les choses. En fait, mon parcours scolaire est marqué de ce genre de situation ou l'on me donnait à croire que j'étais au mieux un cancre sinon un idiot. 

Admis en première année à cinq ans, j'ai traîné avec moi ce boulet qu'est une année de maturité de moins que mes camarades de classe. L'école est vite devenue un lieu de supplice. Trop jeune, peu intéressé, peu appliqué, empoté, tout concourrait à faire de mon parcours scolaire une course à obstacles. Évidemment, les professeurs sanctionnaient mes comportements par des retenues, des copies, des devoirs supplémentaires voire des humiliations. Autant de choses qui m'aidaient à détester l'école.

J'ai été chanceux d'avoir des parents qui ont cru en moi. Peu fortunés, ils se sont sans doute privés de plusieurs de leurs rêves pour m'offrir une chance de réussite. Chaque soir pendant une bonne partie de mon primaire, j'allais faire mes devoirs sous la supervision d'une enseignante retraitée. Cela m'aidait à passer, mais tout juste.

Je suis passé à travers mon primaire, j'y ai appris à me conformer à l'image que l'on avait de moi. Arrivé au secondaire, les choses n'ont guère changé. J'ignorais alors que j'étais affligé d'une difficulté d'apprentissage, la dyslexie. Il faut dire qu'à l'époque c'était une réalité dont mes professeurs ignoraient tout et, s'ils l'avaient su, je me serais sans doute retrouvé sur une voie de garage du système scolaire, condamné à apprendre un métier que je n'aurais pas aimé. Je lisais beaucoup, j'aimais écrire... c'était plein de fautes, mais c'était ma passion. Même cela, on a trouvé moyen de me faire comprendre que ce n'était pas ma place, que je ne serais pas écrivain (aujourd'hui je suis heureux de leur prouver qu'ils ont eu tort). Je me souviens d'une pièce de théâtre que j'avais écrite pour une activité de pastorale scolaire. J'étais fier... c'était probablement naïf, mais combien de jeunes de 15 ou 16 ans osent se commettre? La réaction fut un rejet sur la forme, trop de fautes, ça ne vaut rien, etc... La déception que j'ai connue alors est encore vive. Je me revois sur le chemin du retour à la maison en train de déchirer les pages de mon manuscrit tout en pleurant de rage.

J'ai été ce genre d'élève qui donne raison à ses professeurs. On me croyait cancre et j'agissais comme tel. J'ai obtenu mon diplôme d'études secondaire de peine et misère. À chaque année, j'attendais le bulletin de juin avec appréhension... est-ce que j'allais passer? 

J'ai fini par être admis au cégep, puis je suis allé à l'université.  Faute d'autre chose, j'avais appris la persévérance. J'avais appris que je pouvais réussir malgré mes professeurs et leur perception. Je me percevais comme un intellectuel et je le suis devenu. 

En fait, je dirais que j'ai subi l'école. J'y ai eu quelques bons professeurs qui furent des lumières sur ma route. J'y ai eu de nombreux professeurs qui n'étaient pas à leur place, ne sachant pas accompagner un élève ayant des besoins particuliers. À leur défense, je dirais qu'à l'époque, les écoles étaient pleines et les élèves une denrée bien moins précieuse qu'aujourd'hui, on se souciait peu de la réussite. On formait, on éduquait, on forgeait le caractère.

Ce qui m'afflige le plus aujourd'hui c'est de constater que les choses n'ont pas tellement changé. Ce soir j'entendais dans un bulletin de nouvelles français que l'on songeait, afin d'accompagner l'élève dans son parcours, à établir un bilan des aptitudes scolaires, et ce dès l'âge de 5 ans. Que va-t-il se passer? Le diagnostic sera conforté par la réalité, l'enfant et le professeur agiront en conformité. C'est navrant.

Un être humain est complexe, il est différent de son voisin, il est fragile et fort à la fois. Fragile si on le décourage, fort si on l'appuie. J'entends encore dire que des profs entrent en classe en disant, candidement et sans doute pour inviter les élèves à s'engager, que leur cours sera difficile, qu'il y aura des échecs (certains vont jusqu'à avancer un chiffre), etc. Ce genre de phrase est rassurant pour les meilleurs et fatal pour les élèves qui doutent d'eux-mêmes.

En apprentissage, on néglige beaucoup l'aspect affectif. Le cognitif, le savoir, prime alors que le contexte de l'enseignement et la perception que l'élève peut avoir de sa réussite joue un rôle déterminant. Le contexte, c'est d'abord le professeur qui par son attitude peut amener l'élève a percevoir sa capacité à réussir le cours.Il y a aussi et les autres élèves. Un jeune qui n'arrive pas à trouver sa place dans un groupe est sujet à l'échec. Le rapport à la matière, lire ici la perception subjective que l'élève entretient au regard de celle-ci (avoir la bosse des maths, le français c'est pour les filles, etc...), joue aussi un rôle déterminant dans la réussite.

Aujourd'hui je constate que c'est à cause de mes parents, de la foi qu'ils ont eu en moi que je suis passé au travers. Je doute toujours de mes capacités malgré de nombreuses réussites dont je suis fier. J'ai toujours peur d'affronter de nouveaux défis par peur d'échouer, mais paradoxalement c'est cette peur qui me pousse en avant parce que j'essaie toujours de me prouver que je n'ai pas raison de craindre l'échec.

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